Quatre heures du matin.
Bruno Verrier se réveille sur son canapé.
Comme presque chaque nuit.
On est le 18 décembre, à deux doigts de l’hiver officiel. Sur les pentes, presque en haut. Rue du Bon Pasteur. Ici les rues sont des passages ou des montées. Montée de Vauzelles. Du lieutenant Allouche. Des Carmélites. Rue de l’Alma. De la Tourette. Des Chartreux. Deviennent souvent des escaliers. Pas de plan d’urbanisme. Ça sent la pisse de chat dans les cours. Les immeubles sont de guingois. Tout penche.
En face de la fenêtre de Bruno, il y a un arbre. Le seul du quartier. Un seul. Mais il est beau. Bruno Verrier le photographie depuis dix ans. Il fleurit trois jours chaque printemps. Cette nuit, il a refleuri. De flocons !
Il neige.
Bruno attrape son appareil. Toujours à portée de sa main. Comme un pistolero son Colt. La photo, c’est son shoot, depuis ses quatorze ans, quand il a eu son premier Reflex.
Il neige sur les pentes. Sur la Croix-Rousse. Sur Lyon. Il neige dans la nuit.
Bruno Verrier va à sa fenêtre.
Le viseur de son appareil et sa fenêtre sont les deux endroits où Bruno passent beaucoup de temps à scruter, observer, écouter. Sa fenêtre est sur un des circuits touristiques de la Croix-Rousse. Il aiguille souvent les gens. Un aiguillon pertinent. Il pourrait être guide. Il a fait histoire à la fac Lyon 2, l’université des tendres. Il a déjà derrière lui « toute une vie bien ratée », comme l’a merveilleusement écrit un écrivain amoureux des bistroquets du coin, Pierre Autin-Grenier. Bruno a échoué plusieurs fois au concours d’instit’. Alors, il est devenu coursier. Une chance ! Pour lui et pour nous. En sillonnant la métropole, la métrogaules, la métrogônes, Bruno Verrier sans le savoir commençait ses repérages photographiques de Lyon.
Il neige dans son viseur. On dirait un tableau d’Utrillo s’il n’y avait pas les voitures. C’est ce que lui dira quelqu’un sur Facebook de la photo qu’il est en train de composer dans sa tête. Il y a des traces de pas sur le trottoir. Quelqu’un est passé. Seul. Une femme ou un homme. Une fenêtre est allumée. Timide. Toute seule, elle aussi. Est-ce celle de ces pas ? Ils sont deux réveillés avec cette neige.
Bruno jubile !
Il va être le premier sur Facebook !
Les gens vont se réveiller, encore dans leur lit ils vont regarder leur téléphone, et c’est cette photo qu’il prend qu’ils vont voir. Direct de son œil dans leurs yeux.
C’est comme ça que nous nous sommes rencontrés, Bruno et moi.
Par cette photo.
Je l’ai vue sur mon Facebook vers six ou sept heures du matin. J’en suis tombé amoureux. Comme un dingue ! Une photo intemporelle. L’ambiance du tableau La pie de Claude Monet et de Fargo quand Steve Buschemi ensevelit la valise de fric dans la neige. L’ambiance du chocolat au lait de ma propre enfance. L’ambiance des films noirs dans le Paris des années 50. Paris où je suis justement quand je découvre cette photo. Dans un studio, sous les toits du Marais. Aussitôt, je partage cette photo sur la page facebook de Lyon Visite.
Elle cartonne !
Puis, chance, mais il ne le sait pas encore, Bruno Verrier est licencié de son job de coursier. Avec sa prime, il part à Lisbonne chez un ami qui lui a dit « Lisbonne, c’est comme la Croix-Rousse, mais avec la mer. » Ils se disputent et vont cohabiter dans une ambiance sinistre. Bruno sillonne la ville, seul. Une semaine de photos. Il voit que ce qu’il fait est bien. Il ne m’en dit pas plus durant l’interview mais il s’est passé autre chose à Lisbonne : il s’est senti bien à photographier. Il était au chômage et il était bien. Ça l’a pas quitté depuis, ce bonheur.
Et il commence à en vivre, pas complètement, mais il gagne de l’argent avec ses photos. En rentrant à Lyon, la patronne du Bal des fringuants, une salle de musique qu’il fréquente, tombe amoureuse de ses photos. Lui commande des travaux photographiques pour faire la promo de sa salle. Puis l’expose en septembre 2017. Bruno Verrier est lancé.
« J’ai loupé beaucoup de choses dans ma vie, me dit-il à la table du Paddy’s où je l’interwieve, mais je vais pas lâcher la photo ! »
Bruno Verrier est un homme discret comme son appareil, un Fuji hybride X-T1 qui ne paie pas de mine, qui lui permet de photographier inostentiblement. Un homme discret mais très liant, comme avec ces musiciens qu’il shoote, comme avec cette femme cheveux gris survet pinkie qu’il a photographiée dans différents quartiers de la ville.
Bruno n’est plus coursier mais sillonne toujours Lyon, à cheval sur son appareil photo, de Guillotière à Bellecour à Perrache au Vieux Lyon. Il est classique. Cartier-Bresson, Doisneau. Jusqu’à peu, il ne retouchait pas. Il n’aime pas me dit-il ceux qui maquillent Lyon comme une pute. Il s’est mis sérieusement à Lightroom — le Photoshop des photographes — depuis qu’il travaille avec le studio Du pixel au point, créé par un ancien des Gobelins, et qu’il devient pro, même s’il a encore du mal avec ce mot.
— Que penses-tu de Lyon du point de vue photographe ?
— Lyon est un incroyable sujet, me répond-il. Il y a des centaines de spots.
Nous commandons une nouvelle pinte.
Mais pour Bruno, la photo est surtout un état d’esprit. Et des rencontres. Part-Dieu est photogénique avec ses vestiges des années 80. La lumière de la golden hour sur les quais de Saône, des pentes de la place Bellevue à l’esplanade de la grande côte à la place Rouville. Des amoureux qui s’embrassent sur un banc du jardin des plantes. À ceux qui veulent découvrir Lyon, il donne ce conseil : se perdre. Et dans les pentes de la Croix-Rousse, ce quartier assez unique, on est foncièrement perdu.
Perdez-vous-y à votre tour. Peut-être bien que vous le rencontrerez. Il a toujours passé beaucoup de temps à sa fenêtre, ou à lever le nez dans les passages et les montées, à scruter.
Une dernière photo de sa patte pour terminer son portrait, qu’il a dérobée dans l’une des nombreuses fontaines de Lyon.
Bruno Verrier sait prendre l’instant, il est photographe.
Gilles Bertin
Toutes les photos sont de Bruno Verrier, merci à lui.
D’autres travaux de lui sur son site de photographe professionnel :
https://www.bruno-verrier-lyon-photographe.com/
Vous photographiez la vie…la vraie !
Bravo, Monsieur…Quel talent…