Son nom est merveilleusement et étroitement associé à la fête des lumières, il a été à ses préliminaires, en 1997, dans un événement lumière qui la préfigurait. En 1999, pour la première fête son œuvre qui colorisait la façade de l’Hôtel de ville a été marquante.
Patrice Warrener est un des plus talentueux artiste français reconnu, spécialisé dans les sculptures lumineuses et les installations. Il est surtout célèbre pour son travail dans le domaine de l’éclairage architectural, où il utilise la lumière comme un médium pour transformer les bâtiments en œuvres d’art dynamiques. Sa technique, mise au point avant l’ordinateur, il l’a intitulée Chromolithe : le suffixe «lithe» du grec λίθος désignant ce qui a un rapport à la pierre. C’est le programme de Patrice Warrener. Il met en lumière polychromatique les détails architecturaux des structures, créant ainsi un effet de réalisme merveilleux. Il est reconnu internationalement.
Jalb38 scotche des grafs détachables sur les murs des pentes de Croix-Rousse. Autrement dit, toi le passant tu peux repartir dans ton F5 ou ton studio avec l’une de ses œuvres. Sa démarche court-circuite le circuit habituel de l’Art davantage encore que le street-art himself.
Jalb38 scotche des grafs détachables sur les murs des pentes de Croix-Rousse. Autrement dit, toi le passant tu peux repartir dans ton F5 ou ton studio avec l’une de ses œuvres. Jalb est un street-artiste atypique, un rural qui pratique plutôt un « Campagn’art ». Sa démarche court-circuite le circuit habituel de l’ « Art » davantage encore que le street-art himself.
Son baptême street-art, Jérôme Albertin, artiste, prof et frais quinqua, l’a reçu banette à la main, sortant de sa boulangerie, le 15 août 2018. Sur le mur d’en face, lunettes sur la tête, un portrait au pochoir de Walter White, le méchant de Breaking Bad. Le choc, le bouleversement lui tombent dessus. En trois secondes, il saute du cheval de trait du dessin classique sur le bronco du street. « Voilà quelqu’un qui se fait pas chier, se dit-il sobrement alors à propos de l’auteur du pochoir. Plutôt que d’attendre la possibilité hypothétique d’exposer, il le fait. » La frustration du long temps entre les expos, Jérôme Albertin connaît bien, surtout dans sa campagne avec une seule galerie où il doit tout de même espacer ses apparitions.
Bob Marley, le premier portrait au pochoir de Jalb en 2018 écoulé à plusieurs dizaines d’exemplaires autour de Crémieu.
Jalb a repris son Bob Marley à de nombreuses occasions, y compris à l’acrylique.
Il rentre comme un fou chez lui avec l’irrépressible désir de faire pareil. Ce sera le portrait de Bob Marley. Il taille son premier pochoir. Il a fait refaire son carrelage voici peu et il a plein de morceaux de cartons 40 par 40 idéaux pour mener ses essais et valider sa première créa. Mais le prof et le quinqua au moment d’aller bomber in the street, auf der Straße, on the wall, dans la rue, se rebellent contre l’artiste.
C’est là qu’intervient son épouse, étonnée depuis son retour de la boulangerie de le voir dans cette folie soudaine et inhabituelle, qui lui suggère d’exposer ses cartons d’essais.
Deuxième bouleversement pour Jalb !
Jusque là, il faisait du portrait au pastel gras ou sec, au crayon de couleur, et, quand il avait assez d’œuvres il faisait une expo, où, en échange d’un don à une association malgache dont il fixait le montant à ses œuvres, il donnait ses œuvres. Et voici que cette technique du carton apposé au scotch épargne dans les endroits les plus passagers de Crémieux et des environs lui permet de tout court-circuiter entre lui et ses spectateurs. C’est le scotch qui fait la différence parce qu’il se décolle « Il y a interaction : 1/ quelqu’un passe et voit mon œuvre 2/si ca l’intéresse beaucoup, il l’arrache et 3/ il peut la réutiliser chez lui… certains la recollent ailleurs, je l’ai déjà vu.» 60 cartons de Bob Marley partent aussitôt, du jamais vu pour Jalb qui n’avait jamais envisagé possible de toucher autant de monde avec son travail. « Avec le pochoir, t’as qu’à te servir, j’ai l’avantage de la reproductibilité. »
Détournement publicitaire de Jalb38. Les scotchs de fixation sont nettement visibles sur cette photo. Le support est du simple papier peint.
Sa démarche est pratiquée aussi par l’artiste parisien Alex Tréma. Dans les villes où il passe, il a commencé à New-York, il dépose 24 pièces de l’une de ses œuvres enfermées dans une pochette calque où il écrit « Take me » qu’il scotche dans les rues et les lieux publics. Seule « obligation » pour les passants qui les récupère, envoyer une photo, un poème, autre chose à Alex Tréma sur l’œuvre mise en scène dans son nouveau contexte. Comme le dit Charlélie Couture qui a offert un de ses dessins à Alex Tréma pour l’un de ses « Take me » :
L’idée étant de rompre le schéma de consommation de l’ART, comme une denrée abstraite, mais plutôt de considérer celui-ci comme un moyen de créer un lien entre les êtres.
Charlélie Couture
Hommage à Simone Veil sur l’abri bus du lotissement du château à Villemoirieu, près de chez Jalb : « Une femme déportée qui a servi son pays, l’Europe et le droit des femmes françaises ! Merci, c’est bien le minimum que l’on puisse lui dire même post mortem. »
La vie artistique de Jalb bascule. Sa vie dans le 3-8 aussi avec les autorités iséroises. Les gendarmes venus acheter leur pain dans la même boulangerie le pincent alors qu’il scotche en face. Un vrai paradoxe dans cette ville zone historique, donc sans pub. Il se contraint à ne plus utiliser que les panneaux libres. Il négocie avec les maires de Crémieux et de son village pour utiliser d’autres espaces libres. Comme les abris-bus.
Les politiques flippent quand il peint Simone Weil en réaction aux tags antisémites sur les portraits de celle-ci à Paris, par le street-artiste C215. En fait, ils ont peur des dégradations. « Au début du vingtième siècle, les murs étaient un mode d’expression majeur. D’ailleurs, l’État utilisait les murs pour sa propagande, entre autre anti-juif. Ça a disparu après la deuxième guerre, quand on a voulu faire du lisse. Mais c’est revenu, on n’a pas pu le contenir, c’est un juste rappel des origines. »
Jalb, rouleau de scotch épargne à la main, à l’un des principaux lieux d’affichage des pentes, au croisement rue Burdeau et montée de la Grande-Côte : « J’affiche en plein jour. Je dis aux gens qu’ils peuvent se servir. Je discute avec eux. »
Jalb franchit le boulevard Laurent Bonnevay quelques mois plus tard pour se lancer à l’assaut des pentes de Croix-Rousse, l’eldorado rhônalpin du street-art. Il se sent timide alors, complexé face aux signatures lyonnaises prestigieuses. Mais il font connaissance. Sa démarche détonne. Lui affiche à vue, en plein jour, discute avec les passants.
Mais, relativise Jalb, « Je suis un artiste de pacotille. J’ai une situation confortable, je fais de l’élaboré. » Il veut disant cela parler de sa démarche d’artiste réalisant l’essentiel de son travail en atelier. Il lui est arrivé de créer une Frida Kahlo façon Vermeer, avec 15 couleurs, une gageure par rapport aux pochoiristes qui bombent dans la rue.
15 couleurs différentes pur ce Frida Kahlo en jeune fille à la perle, un pochoir sophistiqué de Jalb38.
Puis il découvre Instagram en 2019. Ce qui lui permet de contempler ses œuvres accrochées chez les gens, qui lui en envoient des photos dans leur appartement.
Depuis le 15 août 2018, son circuit artistique s’est considérablement raccourci, comme un maraîcher rejoignant une AMAP, du producteur au consommateur, du champ à la cuisine. Il n’était pas du tout préparé à ça, il n’a aucune formation artistique. Initialement, il a appris le dessin technique industriel au Rötring, à l’encre du Chine et à la mine 5H, ce qui lui a appris la rigueur. Il a fait de l’art en marge de sa carrière de prof, du dessin et des expos, jusqu’à tourner en rond, jusqu’à cette Assomption du 15 août, quand les portes automatiques de sa boulangerie se sont ouvertes sur un nouveau monde. Et c’est un avantage artistique, il débarque novice dans ce milieu à forte culture. Sa toute première influence lyonnaise sera le pochoiriste @by_dav_ l’auteur des gélules de Prozac moulées en plâtre sur les murs sous-titrées du slogan ironique « Are you ready to be happy ». La démarche de Jalb est-elle aussi marquée par la politique, « citoyenne », revendique-t-il, « C’est un exutoire, c’est ce qui me motive le plus. »
Jalb38
Jalb détourne des pubs, comme ce Just Eat qui l’a scandalisé. Surtout, son goût ancien du portrait se manifeste pleinement dans les figures écologistes et humanistes qu’il appose, juxtapose, transpose en planches épurées, en galeries mondialistes, en manifestes.
Gretha Thunberg par Jalb38
Sa simplicité apparente frappe souvent à l’essence et c’est elle qu’on emporte avec l’une de ses affiches pour la recoller chez soi, comme ce pur Gretha Thunberg ou ce Mandela dont chaque ride est un sillon, un fleuve, un rire, ou encore cette pochette de Number of the beast d’Iron Maiden.
Évocation par Jalb38de selon ses mots « l’une des meilleures pochette de 33t des années 80 : Number of the beast de Iron Maiden illustré par Derek Riggs«
Dix-huit mois après sa conversion, Jalb est un artiste heureux. Et pas que. « J’ai complètement changé de vie. Pas seulement artistiquement. En terme d’élan. J’ai tout un territoire à explorer. » Il travaillait lorsque je l’ai interviewé sur un pochoir à partir d’un extrait d’une photo d’ours du célèbre photographe animalier Paul Nicklen, que depuis il a fini pour le bonheur de ceux qui l’emporteront chez eux.
Depuis janvier 2020, écriture de ce portrait de lui, @Jalb38 a poursuivi l’affichage de son abondante œuvre sur les murs de Lyon, entre autres, parfois en réaction immédiate à l’actualité, comme cet hommage à Robert Badinter paru le 15 février 2024 rue des Pierres Plantées, moins d’une semaine après la mort de l’ancien ministre de la justice de François Mitterrand, auteur de la loi d’abolition de la peine de mort, décédé le 9 février, 81 ans exactement après la rafle de la rue Sainte-Catherine à Lyon, le 9 février 1943, où fut déporté Simon Badinter, son père, déporté et assassiné au Centre d’extermination de Sobibór. Jalb aime rendre hommage aux belles figures humaines.
Gilles Bertin
Jalb38, pochoir à partir d’un extrait d’une photo de Paul Nicklen, pochoir qui est un aussi un hommage au street-artiste C215, engagé et doué pour représenter les bêtes à poils.
Photos : Toutes les photos de cette page sont de Jalb38, avec son autorisation, y compris la photo en haut de page de l’une de ses œuvres de mise en abyme.
L’écrivain Paul Fournel, né à Saint-Etienne, marié à une Lyonnaise et, selon son aveu, « très parisien » et « esclave de l’Oulipo » est devenu depuis sa thèse sur Guignol l’un de ses meilleurs spécialistes. Il a consacré début 2019, le 250ième anniversaire de sa mort, une biographie romancée à Laurent Mourguet, le père de la marionnette et de son théâtre, pas si connu que cela en dehors de Lyon. « Portraits pour très » et croisés de Laurent, Paul, Guignol et les autres.
L’écrivain Paul Fournel, né à Saint-Etienne, marié à une Lyonnaise et, selon son aveu, « très parisien » et « esclave de l’Oulipo » est devenu depuis sa thèse sur Guignol l’un de ses meilleurs spécialistes. Il a consacré début 2019, le 250ième anniversaire de sa mort, une biographie romancée à Laurent Mourguet, le père de la marionnette et de son théâtre, pas si connu que cela en dehors de Lyon. « Portraits pour très » et croisés de Laurent, Paul, Guignol et les autres.
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Dom Juan, Guignol, deux personnages inventés qui marchent seuls dans nos cœurs d’humains, qui ont lâché depuis longtemps la main de leurs créateurs, Tirso de Molina et Laurent Mourguet, oubliés, absorbés par le Sopalin de l’Histoire, par les Mozart et les Molière, par les dizaines de milliers de marionnettistes qui tapent du bâton sur le gendarme. « Deux personnages devenus des mots de la langue courante », observe Paul Fournel, l’auteur de Faire Guignol, spécialiste du célébrissime pupazzo lyonnais.
Guignol, conservateur du francoprovençal
« J’étais en lettres à l’ENS Saint-Cloud, juste après 68, en plein dans ce bouillonnement autour du langage, je m’intéressais au francoprovençal », une langue parlée dans les pays romand, lyonnais, savoyards, dauphinois, foréziens, Paul Fournel est stéphanois. « J’avais choisi Guignol comme représentant, conservatoire d’un certain vocabulaire. » Il en fait son sujet de thèse de doctorat, Le Guignol lyonnais classique (1808-1878) étude historique, thématique et textuelle d’une forme d’art populaire.
L’Oulipo et Guignol, même combat
Mais Fournel est comme Mourguet — qui a successivement été canut, arracheur de dents, marionnettiste vers 1800, directeur de troupe en 1820 — lui ne deviendra pas professeur de lettres, mais éditeur, écrivain, oulipien, administrateur culturel à San Francisco. En effet, il rencontrera lui aussi son père Thomas, le baladin sans famille des vogues lyonnaises, ces fêtes foraines de quartiers, qui initia Laurent Mourguet à la comedia della arte de champs de foire, à l’art de la marionnette à gaine, celle où on fourre ses doigts :
(Père Thomas à Laurent Mourguet 🙂 « Tu glisses la main dans la marionnette et tu lèves le bras. C’est pas compliqué. Les trois doigts dans le bras gauche, le pouce dans le bras droit, l’index dans la tête. (…) Monte ton Polichinelle à la hauteur de la bande, comme s’il était debout sur le plancher. Fais-le marcher. (…) Maintenant, tu vas faire une glissade le long de la bande, qui finit par un coup de tête dans le cadre. Une marionnette à gaine, c’est aussi un poing. Vas- franchement et n’aie pas peur du bruit. » (Faire Guignol, p 47-48)
Fournel aura Raymond Queneau pour père Thomas, l’auteur de Zazie dans le métro, à qui il a consacré un mémoire de maîtrise. « Je suis allé lui rendre visite après un an d’enseignement à Princeton. Je lui ai donné mon mémoire et mon premier roman. » Équilatère sera publié à la NRF et Queneau introduit Fournel à l’Oulipo, dans le chaudron de ce laboratoire où les Perec, Calvino, Roubaud, malaxant les contraintes littéraires et mathématiques, en rupture avec le surréalisme réaniment la création littéraire, en plein infarctus post nouveau roman. Son activité au sein de l’Oulipo (comme au sein du Collège de pataphysique) n’est pas anecdotique, il en devient président et continue d’expérimenter autour du langage. Car, entre Guignol et Oulipo, il y a bien plus de cohérence que l’on ne pourrait le croire au premier abord. Tous deux sont des endroits où la langue est mise dans une cocotte-minute, passée au presse-citron, hachée menue, pour partager le plaisir de jouer avec, d’en avoir plein la bouche, comme dans la défunte émission Des papous dans la tête.
Prolifique Fournel
Fournel devient d’abord éditeur dans les années 80 chez Hachette, Encyclopedia Universalis, Ramsay, Seghers, tout en continuant à écrire. Des nouvelles, Les grosses rêveuses, savoureuse peinture d’un village avant le règne des supermarchés rencontre un beau succès en 1981. Fournel en prépare une suite qui sortira au printemps 2020.
En 1989, Les athlètes dans leur tête décroche le Goncourt de la nouvelle. Fournel est un sportif, passionné de vélo, il écrira Anquetil tout seul en 2012, parmi une trentaine de romans, récits et recueil et une quinzaine de livres jeunesse, dont 5 avec Guignol pour héros.
Guignol, entre spectacles enfants et esprit Collaro
Guignol n’a plus rien à voir avec ce qu’il était, 220 ans après sa naissance. Pour Paul Fournel, il s’est divisé en deux branches. D’un côté, « un spectacle bêbête mais efficace pour les enfants » dont la marionnette est toujours la vedette. De l’autre, des spectacles d’où elle a disparu — comme Les guignols de l’info — mais où subsiste son esprit frondeur qui déteste l’injustice. « Il n’y a plus Guignol, remarque Fournel, mais on retrouve l’esprit Collaro. Guignol n’est pas un politique qui dénonce. Cependant, il n’est pas exempt de ruse et n’est pas dupe. Il adore faire la bête pour avoir du son. »
Guignol, Paul Fournel l’a joué lui-même, de temps en temps, jusqu’en Indonésie. Il possède des marionnettes de l’artisan comédien Damien Weiss, réputé pour ses marionnettes, que les Anglais ont surnommé « le guignolier fou ». Il a également fréquenté le Petit bouif, où officiait Jean-Guy Mourguet, le dernier marionnettiste de la lignée Mourguet, où régnait encore dans les années 80 un esprit contestaire, frondeur et rigolard.
Faire Guignol, biographie romancée d’un Mourguet qui ne savait pas écrire
Laurent Mourguet a eu 10 enfants. Dix fois, il s’est rendu à la mairie pour en déclarer la naissance, neuf fois il a signé d’une croix, il ne savait pas écrire, la dernière il a tracé ses initiales.
On a seulement deux lettres de lui, et elles sont d’un écrivain public. « Ce que l’on sait de lui est tellement lacunaire, explique Paul Fournel, des actes paroissiaux et des actes de police, qu’il est impossible d’en faire la biographie. » Il a donc romancé. Par exemple à partir de cette figure de proue sculptée en Guignol que possède le Musée Gadagne :
« Un beau matin avec la Jeanne et leur petit-fils, Michel Josserand, ils embarquent tous leurs biens sur une péniche qui va descendre le Rhône et les déposer en chemin. (…) Il fait bon. En hommage au créateur, le batelier a fixé un immense Guignol en figure de proue, et c’est tirée par Guignol lui-même que la péniche glisse sur les courants du Rhône. » (Faire Guignol, p 243)
Ou lorsque Laurent Mourguet, un soir où il est triste que le père Thomas saoul ne soit pas venu jouer avec lui, sculpte dans un morceau de bois de tilleul le premier personnage de son futur théâtre de Guignol.
« Laurent souffle, dresse son travail dans la lumière pour juger des proportions de la tête et pour comprendre ce qu’il a fait. Jeanne lève les yeux de son ouvrage et regarde elle aussi. – On dirait Thomas, dit-elle. – Alors c’était donc lui que je voulais sculpter. Il est sorti tout seul du morceau de bois. (…) Ce Thomas-là pourra boire tout son saoul, il ne fera jamais faux bond. (…) Je pourrais même l’appeler Benoît. – Mais non, il va croire que tu te moques, ton tonton. Moi, j’ai une autre idée : c’est un gnafre, il boit trop, il est rond, c’est Gnafron ! (Faire Guignol, p 87-88)
Les pièces que créent Laurent Mourguet ne sont pas écrites. Sa troupe les joue « au canevas » explique Paul Fournel, comme font les musiciens de jazz. Mourget raconte à ses complices marionnettistes l’histoire qu’ils vont jouer, puis chacun improvise sa partie différente chaque jour à partir de cette trame.
« Laurent Mourguet ne sait pas écrire, mais il est un homme cultivé, il a joué Pathelin, il va au théâtre. », dit Paul Fournel. Il est toujours à l’écoute, à la recherche d’histoires, interroge ses proches, cet oncle Benoît, cordonnier, qui a failli donné son prénom à la marionnette Gnafron :
– Raconte-moi des histoires. – J’ai un fer à clouer sous cette botte et je suis à toi. – Je veux des histoires fausses qui racontent des choses vraies.(…) – Tu veux donc des histoires. J’imagine que c’est pour ton théâtre. As-tu seulement pensé à la tienne ? Les miennes sont vieilles. Il te faut des histoires de ton temps. – Je m’occupe de mes propres histoires, mon cher oncle, mais mon Guignol est de tous les temps. Je veux que tu lui prêtes ta vieille langue. » (Faire Guignol, p 132-133)
Sans la Révolution, point de Guignol, sans la censure, point de répertoire écrit
Pour Paul Fournel, « Laurent Mourguet n’était pas acteur de la vie politique, pas impliqué. L’époque était terriblement agitée. Dans ces métiers de saltimbanques, particulièrement. Si les canuts souffrent de la crise des années 30, les bateleurs ne peuvent plus se produire sur la voie publique. Sans cette période, il n’y aurait pas eu Guignol. » Un jour, après une bagarre dans un café où il joue, la garde veut l’embarquer parce qu’il en serait la cause avec le cabaretier, il s’enfuit. « On ne peut pas s’étonner, après cela, note Fournel (page 141), que Guignol prenne l’habitude de rosser l’autorité sous toutes ses formes. »
Un homme en noir et un autre en uniforme entrent dans le café-théâtre où Mourguet et sa troupe préparent une nouvelle pièce, Les frères Coq. Le représentant de l’État déclare : « Vous nous apporterez le texte de vos pièces. Si elles conviennent, nous leur donnerons un visa et vous pourrez les jouer à condition de ne point en changer une ligne. » (page 217)
Voici Mourguet qui ne sait pas écrire, qui improvise chaque jour sur le canevas de ses histoires, obligé de les transcrire. Évidemment, Mourguet demande à son comédien François qui écrit pour lui de « faire semblant, d’écrire ce que la censure veut lire. » Quant à eux, ils joueront ce qu’ils veulent.
Ironiquement, c’est un juge qui va le premier éditer les pièces de Laurent Mourguet, en 1865. Anonymement, bien sûr, vu l’époque et sa position de bourgeois. Jean-Baptiste Onofrio qui a été comédien dans sa jeunesse, quand il était étudiant en droit, et qui s’intéresse aux vieux langages, comme Paul Fournel, il est l’auteur de Essai d’un glossaire des patois de Lyonnais, Forez et Beaujolais, se passionne en cachette pour le théâtre de Laurent Mourguet. Ce sont alors les petits-enfants de ce dernier qui jouent Guignol. Onofrio transcrit petit à petit les pièces qu’il voit jouer dans leur café-théâtre. Le Pot de confiture, Le Marchand de picarlats, Les Couverts volés, une vingtaine, et les fait publier. Mais lui aussi opère une censure, en ne transcrivant pas ce qui est pornographique ou trop contestataire.
Quelques mots encore avant de se quitter
Ayant fait sa thèse sur Guignol comme conservatoire du langage d’alors, Fournel était bien placé pour recréer dans cette biographie romancée le parler de l’époque. Sans des témoins d’alors, on ne peut dire s’il a réussi à 100 ou 83,47%, mais cela marche merveilleusement, dans ce mélange de dialogues ou Fournel excelle, d’incises d’archives et de discours rapportés. Il faut dire aussi du style de Fournel qu’il est limpide, simple, sans enjolivements qui feraient de l’ombre au héros du livre et à sa propre langue.
Quelques mots comme des agathes : gnafre, lantibardaner, petafiner, sigroler, arregardez, miaille, brasse-roquet… « Nom d’un rat ! » expression guignolesque qu’adore Fournel sans avoir réussi à retrouver à quoi elle correspondait, et ce mot, « pécuniaux », l’un des nombreux pour dire l’argent, grande préoccupation populaire de tous les temps, et de celui-ci si riche de grands chômages.
« L’argent est ronde, c’est pour qu’on la fasse rouler. » dit Laurent à sa chenuse, Jeanne, qui lui répond, « L’argent est plate aussi et c’est pour qu’on l’empile. »
Vidéo de Paul Fournel avec la marionnette Guignol évoquant la vie de Laurent Mourguet
Extrait de la bibliographie de Paul Fournel
Clefs pour la littérature potentielle, éd. Denoël, 1972, premier ouvrage sur l’Oulipo L’Équilatère, 1972, éd. Gallimard. Roman L’Histoire véritable de Guignol, éd. Federop, 1975 Les petites filles respirent le même air que nous, 1978, recueil de nouvelles Les Grosses Rêveuses, 1981, recueil de nouvelles Les Athlètes dans leur tête, 1988, Ramsay, rééd. Point-Seuil. , récit Guignol, les Mourguet, éd. du Seuil, 1995 La Liseuse, 2012, P.O.L, roman, Une stagiaire offre une liseuse numérique à un vieil éditeur Anquetil tout seul, Seuil, 2012, récit Faire Guignol, éd P.O.L., 2019
Dans la Bibliothèque Rose, tous épuisés :
1976 : Ce coquin de Guignol
1976 : Guignol est un malin
1977 : La Fortune de Guignol
1977 : Les Bonnes Affaires de Guignol
1979 : Guignol se déguise
Florale, rousse, scabreuse, maudite marde vient de surgir sur les murs des pentes et du plateau de Croix-Rousse ce début 2019. Ses collages à la ligne précise, coloriés comme l’étaient les décalcomanies des Malabars ou les emballages Kréma, sont très féminins, et adossés à des mots grossiers. D’enthousiasme, dès avoir vu son travail Montée de la Grande-Côte et rue de Crimée, je lui ai demandé via son compte Instagram maudite__marde une interview.
L’anonymat, d’abord ? Question de base pour chaque street-artiste, de pair avec le choix de son blase. Maudite__marde le revendique, elle aussi. Le secret. Elle en a même fait un jeu, une sorte de test, pour voir si on la reconnaît ainsi dissimulée. Elle est devenue street-artiste de fil en aiguille, n’étant pas du tout graphiste, me jure-t-elle, mais photographe. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle a fait la rencontre de cet art de rue, en accompagnant les grafeurs la nuit, elle trouvait intéressant d’avoir des photos de l’acte lui-même, le moment de la réalisation sur place, dans la nuit. Voici deux mois, en décembre, elle a basculé de l’autre côté, collant sur un mur l’une de ses photos, sous son nom de photographe. Et de là, l’idée de « poser », comme elle dit, les coloriages qu’elle commençait alors de faire. « Je découvre, explique-t-elle, mon talent de coloriste. Et, ajoute-t-elle à propos de ses références tatoo, J’aime, j’ai des tatouages, je fais des photos de tatouage. Je me suis dit que j’allais mettre de moi dans les personnages de ces réalisations. Leur chevelure rousse, leur rouge à lèvre roux, leurs tatouages, ce sont les miens. »
Juxtaposé à ces portraits de femmes, des mots inconnus ou grossiers : Criss d’épais, Criss de fatiguant, Oste d’crisse. Ils m’avaient d’abord emmener vers des références à la crise économique. Elle rit au téléphone, « Ce sont des injures ! Des injures québécoises ! Elles sont si drôles. Et en plus, avec leur accent ! J’avais envie de juxtaposer l’image douce d’un visage avec des injures, pour parler autrement de l’amour. C’est une réponse aux mots d’amour qu’il y partout, une réponse que je veux mettre dans la rue. » Et pour la Saint-Valentin ? Rien, répond-elle, il faut être accompagnée… et de toute façon, on n’a pas besoin d’une occasion, il faut dire je t’aime tous les jours à ceux que l’on aime. Il y a une forme de romantisme, reconnaît-elle, dans sa démarche de présenter autrement l’amour.
Maudite marde n’est jamais allée au Québec, mais rêve de le visiter. Vous avez deviné que son nom d’artiste maudite__marde n’est pas une référence à Rabelais, mais elle aussi une injure québécoise. Quoique… Le québécois étant resté proche du français de l’époque de Rabelais.
Continuera-t-elle sa très jeune carrière de street-artiste ? Elle ne sait pas, tant que ça lui plaira, oui. Elle prépare une nouvelle série. Avec des portraits d’hommes cette fois. On peut la voir en ce moment vers le Nombril du monde, dans l’escalier entre le passage Mermet et la place Chardonnet, rue Flesseyle vers le Lavoir public, sous l’esplanade de la montée de la grande-côte, rue de Crimée, au bout de la rue de l’Alma côté Bon Pasteur, où il y a cette si jolie vue de Lyon. Et sur Instagram sous son nom d’artiste.
Chez Sandrillon, c’était compliqué pour se laver. Un rai rouge sous la porte de la salle d’eau barrait l’entrée. Des odeurs vinaigrées de révélateur et de fixateur fuitaient dans l’appartement. Ilford, Fuji, Kodak. Ses parents s’y livraient à d’obscurs travaux inactiniques. Trente ans plus tard, ils ignorent que leur fille est la tenancière d’un des meilleurs blogs photo sur Lyon. Elle n’a pas éprouvé le besoin de leur dire. Pas encore. Même le jour où ils ont feuilleté chez elle un livre tiré de ce blog. Sandrillon ne veut pas être reconnue pour elle, mais que ses travaux le soient. Telle est sa quête.
« Il n’y a rien de faux dans mes photos », dit-elle touillant ses longs cheveux châtain clair, ses yeux dans le ciel de Bellecour, cherchant à être au plus près de ce qu’elle veut dire. « S’il y a un fil électrique dans le paysage, je le laisse, ou je m’arrange pour cadrer autrement. Je cherche ce que les gens pourraient voir. Ce que je reproche aux photographes sur le web, c’est leurs photos ultra photoshopées. » Sous sa crinière lionnesque, dans ses yeux frères Lumière, Sandrillon est d’une exigence de luthière. Elle n’est pas une grande technicienne, ce qui l’intéresse sur le terrain est le sujet, lequel est aussi imprévisible que le vent.
Un jour, dépitée d’un reportage à Croix-Rousse qui n’a rien donné, frustrée, alors qu’elle récupère sa voiture devant l’immeuble aux 365 fenêtres qu’elle rêve de photographier, un habitant l’y fait entrer et elle tombe amoureuse de l’escalier, ce sera son sujet. Idem de l’escalier de la petite rue des Feuillants. Une autre fois, ce sont les dessous des ponts sur le Rhône, un kaléidoscope de dessous de tabliers dans la ville des chefs cuistots.
Adolescente, elle a appris l’argentique, mais s’en est détournée lorsqu’elle a découvert la vidéo, « C’était plus rigolo quand l’image bougeait. » Elle est pro là-dedans mais ne m’en dit pas davantage, à son emploi non plus on ne sait pas qu’elle édite un super blog. Quand l’une de ses collègues tombe sur un autoportrait que pour une fois elle avait publié, celle là s’étonne, « Sandrine, c’est toi Sandrillon ! J’ai lu plein d’articles sur ton blog, j’aurais jamais imaginé que c’était toi. »
Ses sujets, le grenier d’abondance, le mythique garage Citroën, l’immeuble canut Clos Perrin, l’orgue de l’Auditorium, le jardin Rosa Mir, la plus petite maison de Lyon rue Étienne Jayet, la brasserie Ninkasi, le musée de l’École dentaire, le domaine Belle Rive en face de Confluence, la nécropole de la Doua, la statue de « l’homme qui porte à Saint-Priest », la montée du Télégraphe qui longe l’Odéon avec sa vue sur les thermes romains, le bateau chapelle des mariniers, les murs peints, la Manufacture des Tabacs, la tour du crayon de Part-Dieu, des dizaines d’expositions, dont le carnaval des animaux de la Biennale des Lions. Son reportage le plus populaire est la rivière Valserine, à l’est de Lyon, dans « une atmosphère digne des forêts druidiques et chamaniques », écrit-elle.
Longtemps, Sandrine s’est tenue loin de la photo, déçue par les premières générations d’appareils photo numérique, loin du rendu argentique. Mais survient un déclencheur. Le concours du cimetière de Loyasse qui fêtait ses cent ans. Tôt un matin, elle va se balader entre les tombes, avec un compact à trois francs six sous. Sa photo est sélectionnée. Les organisateurs la lui réclament en grand, pour les panneaux municipaux. Mais elle n’a qu’un fichier de qualité limitée, il faudrait refaire la photo avec un meilleur appareil. Elle se retire du concours. Ils insistent, ils ont un logiciel qui sait agrandir les images sans les détruire. Le résultat lui plaît, sa confiance revient.
Elle se remet à la photo. En dehors de son job. Elle crée ce blog, « Sandrillon in Lyon ». Au nom explicite, elle parler de son terrain de jeu photographique. Se paie des appareils. Un gros, un moyen, un petit toujours avec elle. Sans encore le savoir, elle vient d’entrer en addiction. Ce blog se met à jalonner sa vie, une auto-obligation de publier alors qu’elle n’en retire aucune reconnaissance majeure. Parfois Sandrillon se demande pourquoi tout ça. Quel sens ? Chaque billet est un gros travail. Reportage, éditing, rédaction. Fait-elle de la photo pour ce blog, ou ce blog pour faire de la photo ? La réponse est peut-être en forme de lieu secret.
« Accepteriez-vous de me faire découvrir votre lieu secret dans Lyon ? » demande-t-elle un jour à tous ses amis. Trente-huit acceptent. La règle : qu’ils ne lui en disent rien avant. Chacun lui donnera un rendez-vous en un point neutre et l’y emmènera, elle n’en saura pas plus et la localisation du lieu ne sera pas révélée dans son reportage. Ce projet lui prend six mois. Ce seront trente-huit découvertes. Un ancien hôtel du XIXème qui tombe en ruine, en plein centre ville. Des endroits retirés, certains abandonnés. Ou au contraire très connus, au théâtre romain de Fourvière, au parc de la Tête d’Or. Trente-huit portraits et récits de leur rencontre avec Sandrillon. Elle appelle ce projet « Confidences ».
Son lieu secret, où elle se fait à son tour photographier par une amie devant une fresque street-art, elle vous le révèle maintenant, est en haut de l’étroite rue Joséphin Soulary, sur l’abrupt flanc de Croix-Rousse en surplomb du Rhône. Mais quand elle va mal, c’est ailleurs encore qu’elle cherche du beau, « J’adore Fourvière, son côté imposant. Elle surgit, ça me prend. » C’est sans doute pour cela qu’elle n’a pas vraiment encore réussi à photographier cette partie de Lyon comme elle le voudrait. Mais Sandrillon attend, elle a rendez-vous avec la photo, comme un destin.
Toutes les photos de ce portrait sont de Sandrillon, excepté la dernière, qui est de son amie Florence. Elles sont donc leur propriété et leur utilisation est soumise à leur autorisation via le formulaire de contact de Sandrillon in Lyon.
Valérie Niquet est crieuse publique. Comédienne. Chanteuse. Et ce n’est pas tout, elle a les yeux caramel. Deux billes claires qui s’attachent à vous… Lire la suite
Une femme dans le public lui tend un billet écrit à l’encre bleue.
« Mon bel amour Tshiteya, je t’attends à Dijon pour faire un petit tour de manège, mais dépêches-toi car Mme Bailly ferme à 19h. Codie »
lit Valérie Niquet, perchée sur son escabeau derrière son pupitre, son képi à treize heures. Et cette femme s’en va, s’éloigne, comme dans Orly de Brel, elle pleure à chaudes larmes. Ce papier, Valérie l’a encore sur son frigo, des années après, accroché à un magnet comme cette femme l’était à ce Codie qui lui avait écrit ce mot.
Valérie Niquet est crieuse publique. Comédienne. Chanteuse. Et ce n’est pas tout, elle a les yeux caramel. Deux billes claires qui s’attachent à vous, rient, s’étonnent, détonnent, questionnent, pétillonnent, chatertonnent. Qui exigent votre attention. Bas résille et mèche accroche-cœur collée au front, elle est grimée en Betty Boop dans le spectacle de théâtre musical Be Bop Boby qu’elle mène avec son complice Pascal Carré, succès depuis des années. Si bien que dans les bars de Croix-Rousse, les gens la saluent soit d’un « Salut Betty », soit d’un « Bonjour la crieuse ». Elle leur répond d’un sciemment « la crieuse publique vous dit bonjour ». Distance indispensable pour rester l’artiste-comédienne qui le dimanche matin donne vie publiquement à leurs messages. Ainsi l’annonce du suicide d’un garçon âgé de sept ans qu’elle connaît. Défenestration. La glotte coincée. Elle est un porte-voix. Pour ceux qui n’ont pas la parole dans l’espace public. Pas celui de Facebook, mais celui où nous vivons ensemble. Les « gens » lui postent dans l’une des sept huit boîtes à lettres installées à des endroits stratégiques du quartier, commerces, bistrots, coopératives, subtil mélange de populaire et de gentrification. Croix-Rousse est pour elle un quartier de lutte, très marqué. Cette force soyeuse existe encore dans des festivals, des lieux, le street-art sur les murs des pentes et du plateau.
Valérie Niquet a pris la suite de Gérald Rigauld, comédien et artiste de rue qui, en 2004, a inventé cette fonction de créateur de lien social, à la Croix-Rousse, dans la lignée des valeurs de ce quartier. Création à bas bruit, par le bouche à oreille dans les bistrots du coin, qui aussitôt a rencontré succès local et écho national. Chaque criée attire entre 70 et 150 personnes. Un public qui se renouvelle sans cesse autour d’un noyau de fidèles. Elle en fait ailleurs à la demande.
Les messages qu’elle reçoit à lire donnent un ampan de la diversité humaine. Comme celui-ci sans un mot, seulement un dessin, une croix gammée. Elle l’a fait défiler devant les yeux du public, sans commentaire ni jeu de comédien.
À 19 ans, à son arrivée du Jura à l’université, elle se dit, « Je serai comédienne. » La madeleine à l’origine de sa décision, ce jour-là, est remontée de son enfance, d’une institutrice qui lui faisait faire du théâtre.
Très vite, elle rentre dans une compagnie d’impro. Texte et clown. Très littéraire. Facteure de mots, comme l’était Saint-Ex, né du côté de Bellecour, d’où il s’est envolé, la cale de son Caudron monomoteur pleine de sac postaux bourrés de mots. Puis, elle embarque dans l’aventure U-Gomina, compagnie de théâtre musical créée par Ugo Ugolini qui en 84 prit Jack Lang au mot, lequel voulait propager la fête de la musique à tous les arts. Be bop Boby est un formidable tribute to Boby Lapointe, dans une ambiance férocement tendre, des pinçons de gouaille à la taille, dans le bain saumoné de l’orgue de barbak mélange de Piaf et de montagnes russes rusées comme l’était Bobby.
Valérie Niquet travaille aussi sans les mots. Elle fait du théâtre d’images avec des handicapés dans le groupe SIGNES, moments de création avec des acteurs extraordinaires.
Elle a trouvé à Lyon ce qu’elle voulait, du théâtre qu’elle aime, depuis 22 ans, pas besoin de Paris. Elle fait la couillonne humaniste avec du tragique, madame Saint-Exupérires des fleurs du mal, candeur et gravité, sens aigu de l’ellipse, de l’arrêt sur image, du cabrage roue arrière, de l’alexandrin, des cocktails un tiers Racine, un tiers maquignon normand, cinq quart Valérie Niquet. Une vigueur jurassienne et une agilité de Nadia Comăneci pour durant plus d’une heure insuffler vie à chacun de ces billets. Des gens viennent la voir après, lui dire « J’ai redécouvert mon message, la façon dont tu l’as dit. » Les vieux reubeus sur les places l’appellent Général, rapport à l’uniforme de garde-champêtre qu’elle enfile pour les criées.
Plus tard, elle a revu cette femme qui lui avait tendu ce mot bleu que lui avait écrit Codie. Elle a expliqué à Valérie parlant de Codie, « Je voulais juste entendre son nom sur la place publique. »
Gilles Bertin
La crieuse publique de Croix-Rousse, une fois par mois le dimanche à 11h, place des Tapis — Programme et infos sur la page Facebook : Crieuse publique Croix Rousse.
Vous pouvez déposer vos messages dans les boîtes aux lettres situées à : L’atmo, Le bistrot fait sa broc, Le café Jutard, le café de la crèche, Le comptoir du sud, Le drôle de zèbre, La maison de l’économie solidaire, L’origo.
« Se cacher, c’est la liberté », explique Big Ben qui refuse d’être pris en photo pour cet entretien. Il signe avec la silhouette totémique de la célèbre tour londonienne, qu’il insère subtilement dans ses œuvres, presque cachée, tel Alfred Hitchcook traversant subrepticement ses films.
Ce pseudonyme, Big Ben, il en parle comme d’un « blaze ». Quasi un blason. C’est que son nom mural, que le mur soit de briques ou facebookien, est consubstantiel de chaque street-artiste. Comme pour les rappeurs. Ce Big Ben est un jeu de mots avec le surnom que tout le monde lui donne dans la vie, Ben, pour Benoît. Nous n’en saurons pas plus de son identité.
Un autre moyen de préserver sa liberté, plus tangible encore, est son job rémunéré. Qu’il ne veut pas nous dévoiler non plus. Il s’est permis récemment de refuser une juteuse offre de Publicis pour réaliser une affiche publicitaire. « Chaque homme a son prix », ajoute-t-il encore, pour appuyer fort sur son choix artistique.
Le street-art subit aujourd’hui une grosse vague de récupération, récupéré, recyclé et réhabillé par le marketing. Il y a par exemple cette marque de yaourts qui, pour lancer son nouveau magasin de laitages hypes auprès des néos Croix-Roussiens, a collé des vaches en mousse à 3 mètres de hauteur dans « 14 lieux emblématiques du quartier ». Ces ruminants sympathiques sont loin du Trump adressant un doigt d’honneur à la planète signé par Big Ben, effacé deux jours après par les équipes de nettoyage de la municipalité. Ou de son portrait d’Eminem, réputé comme Trump pour sa grossièreté, rue de la Tourette, œuvre vite effacée elle aussi. La Tourette est le nom de la maladie qui fait prononcer à ses victimes des litanies de gros mots et d’injures. Oui, Big Ben adore les détournements. De toutes sortes. Car il cherche le cœur des passants. Ainsi rue Neyret, dans les pentes de la Croix-Rousse, où les célèbres et troublants yeux faussement vairons de David Bowie vous regardent au bout de la rue.
Lors du départ de notre Cher Johnny pour le grand ailleurs, Ben lui a rendu hommage en l’équipant d’une paire d’ailes d’ange et de la guitare de Jimi Hendrix en feu à ses pieds, souvenir des passages de ce dernier en 1966 en première partie des concerts de la future superstar nationale.
Des hommages-détournements, Big Ben en a commis de nombreux : Magritte, Gainsbarre, Cabu, Cupidon, Keith Haring, Stallone (quai Rambaud, of course), la sorcière de Blanche-Neige croquant la pomme Apple, des soldats chinois sur le sol de la chaufferie de l’Antiquaille en piratage de la Biennale d’Art Contemporain.
Big Ben aime aussi les nus, particulièrement en hiver, ils réchauffent. Ce début 2018, il travaille autour d’Ingres. « Ingres, c’est massif, pas de chute de reins. Et c’est subtil, en même temps, ce qui donne une ampleur à sa peinture. » Une façon de révéler les critères de beauté d’aujourd’hui en mettant côte-à-côte les deux peintures, la sienne et celle de l’auteur de La Baigneuse et du Bain turc. Peindre des femmes en chair à l’époque où la mode impose le filiforme est un contrepied de la part de Big Ben, comme l’est le street-art, l’une des rares alternatives aux visuels publicitaires omniprésents sur les murs des villes.
Big Ben peint sur du papier, dans son atelier. Des grands formats souvent. Parfois les dupliquent. Fait du pochoir. Puis enfin les colle publiquement. Un grand collage ça prend du temps, explique-t-il, il faut choisir des heures propices pour que l’opération réussisse. Sous-entendu des heures où il risque peu de croiser la police, qui lui ferait retirer illico. Moments très courts par rapport au reste du temps de réalisation de l’œuvre, mais moments excitants quand elle va enfin dans la rue.
S’il colle à Bordeaux, Nîmes, Strasbourg, c’est surtout Lyon où il vit qui est son terrain de jeu. Arrivé voici vingt ans, il a tout de suite aimé la ville, les traboules dont il faut passer les portes, ce charme caché pour faire croire que l’on est pauvre. Lyon a une cinquantaine de galeries, mais les collectionneurs n’achètent pas encore, les street-artistes demeurent des tireurs isolés.
Depuis 2011 et ses premiers collages, Big Ben a eu quelques expos. La prochaine est en avril mai 2018, au Canet. Un conservateur lui a commandé des fresques. Ce sera un moyen de financer son travail. Mais aussi et surtout une reconnaissance artistique.
Bruno Verrier n’est plus coursier depuis des années mais sillonne toujours Lyon, à cheval sur son appareil photo, de Guillotière à Bellecour à Perrache au Vieux Lyon. Il est classique. Cartier-Bresson, Doisneau. Jusqu’à peu, il ne retouchait pas. Il n’aime pas ceux qui maquillent Lyon.
Quatre heures du matin.
Bruno Verrier se réveille sur son canapé.
Comme presque chaque nuit.
On est le 18 décembre, à deux doigts de l’hiver officiel. Sur les pentes, presque en haut. Rue du Bon Pasteur. Ici les rues sont des passages ou des montées. Montée de Vauzelles. Du lieutenant Allouche. Des Carmélites. Rue de l’Alma. De la Tourette. Des Chartreux. Deviennent souvent des escaliers. Pas de plan d’urbanisme. Ça sent la pisse de chat dans les cours. Les immeubles sont de guingois. Tout penche.
En face de la fenêtre de Bruno, il y a un arbre. Le seul du quartier. Un seul. Mais il est beau. Bruno Verrier le photographie depuis dix ans. Il fleurit trois jours chaque printemps. Cette nuit, il a refleuri. De flocons !
Il neige.
Bruno attrape son appareil. Toujours à portée de sa main. Comme un pistolero son Colt. La photo, c’est son shoot, depuis ses quatorze ans, quand il a eu son premier Reflex.
Il neige sur les pentes. Sur la Croix-Rousse. Sur Lyon. Il neige dans la nuit.
Bruno Verrier va à sa fenêtre.
Le viseur de son appareil et sa fenêtre sont les deux endroits où Bruno passent beaucoup de temps à scruter, observer, écouter. Sa fenêtre est sur un des circuits touristiques de la Croix-Rousse. Il aiguille souvent les gens. Un aiguillon pertinent. Il pourrait être guide. Il a fait histoire à la fac Lyon 2, l’université des tendres. Il a déjà derrière lui « toute une vie bien ratée », comme l’a merveilleusement écrit un écrivain amoureux des bistroquets du coin, Pierre Autin-Grenier. Bruno a échoué plusieurs fois au concours d’instit’. Alors, il est devenu coursier. Une chance ! Pour lui et pour nous. En sillonnant la métropole, la métrogaules, la métrogônes, Bruno Verrier sans le savoir commençait ses repérages photographiques de Lyon.
Il neige dans son viseur. On dirait un tableau d’Utrillo s’il n’y avait pas les voitures. C’est ce que lui dira quelqu’un sur Facebook de la photo qu’il est en train de composer dans sa tête. Il y a des traces de pas sur le trottoir. Quelqu’un est passé. Seul. Une femme ou un homme. Une fenêtre est allumée. Timide. Toute seule, elle aussi. Est-ce celle de ces pas ? Ils sont deux réveillés avec cette neige.
Bruno jubile !
Il va être le premier sur Facebook !
Les gens vont se réveiller, encore dans leur lit ils vont regarder leur téléphone, et c’est cette photo qu’il prend qu’ils vont voir. Direct de son œil dans leurs yeux.
C’est comme ça que nous nous sommes rencontrés, Bruno et moi.
Par cette photo.
Je l’ai vue sur mon Facebook vers six ou sept heures du matin. J’en suis tombé amoureux. Comme un dingue ! Une photo intemporelle. L’ambiance du tableau La pie de Claude Monet et de Fargo quand Steve Buschemi ensevelit la valise de fric dans la neige. L’ambiance du chocolat au lait de ma propre enfance. L’ambiance des films noirs dans le Paris des années 50. Paris où je suis justement quand je découvre cette photo. Dans un studio, sous les toits du Marais. Aussitôt, je partage cette photo sur la page facebook de Lyon Visite.
Elle cartonne !
Puis, chance, mais il ne le sait pas encore, Bruno Verrier est licencié de son job de coursier. Avec sa prime, il part à Lisbonne chez un ami qui lui a dit « Lisbonne, c’est comme la Croix-Rousse, mais avec la mer. » Ils se disputent et vont cohabiter dans une ambiance sinistre. Bruno sillonne la ville, seul. Une semaine de photos. Il voit que ce qu’il fait est bien. Il ne m’en dit pas plus durant l’interview mais il s’est passé autre chose à Lisbonne : il s’est senti bien à photographier. Il était au chômage et il était bien. Ça l’a pas quitté depuis, ce bonheur.
Et il commence à en vivre, pas complètement, mais il gagne de l’argent avec ses photos. En rentrant à Lyon, la patronne du Bal des fringuants, une salle de musique qu’il fréquente, tombe amoureuse de ses photos. Lui commande des travaux photographiques pour faire la promo de sa salle. Puis l’expose en septembre 2017. Bruno Verrier est lancé.
« J’ai loupé beaucoup de choses dans ma vie, me dit-il à la table du Paddy’s où je l’interwieve, mais je vais pas lâcher la photo ! »
Bruno Verrier est un homme discret comme son appareil, un Fuji hybride X-T1 qui ne paie pas de mine, qui lui permet de photographier inostentiblement. Un homme discret mais très liant, comme avec ces musiciens qu’il shoote, comme avec cette femme cheveux gris survet pinkie qu’il a photographiée dans différents quartiers de la ville.
Bruno n’est plus coursier mais sillonne toujours Lyon, à cheval sur son appareil photo, de Guillotière à Bellecour à Perrache au Vieux Lyon. Il est classique. Cartier-Bresson, Doisneau. Jusqu’à peu, il ne retouchait pas. Il n’aime pas me dit-il ceux qui maquillent Lyon comme une pute. Il s’est mis sérieusement à Lightroom — le Photoshop des photographes — depuis qu’il travaille avec le studio Du pixel au point, créé par un ancien des Gobelins, et qu’il devient pro, même s’il a encore du mal avec ce mot.
— Que penses-tu de Lyon du point de vue photographe ?
— Lyon est un incroyable sujet, me répond-il. Il y a des centaines de spots.
Nous commandons une nouvelle pinte.
Mais pour Bruno, la photo est surtout un état d’esprit. Et des rencontres. Part-Dieu est photogénique avec ses vestiges des années 80. La lumière de la golden hour sur les quais de Saône, des pentes de la place Bellevue à l’esplanade de la grande côte à la place Rouville. Des amoureux qui s’embrassent sur un banc du jardin des plantes. À ceux qui veulent découvrir Lyon, il donne ce conseil : se perdre. Et dans les pentes de la Croix-Rousse, ce quartier assez unique, on est foncièrement perdu.
Perdez-vous-y à votre tour. Peut-être bien que vous le rencontrerez. Il a toujours passé beaucoup de temps à sa fenêtre, ou à lever le nez dans les passages et les montées, à scruter.
Une dernière photo de sa patte pour terminer son portrait, qu’il a dérobée dans l’une des nombreuses fontaines de Lyon.
Bruno Verrier sait prendre l’instant, il est photographe.
Gilles Bertin
Toutes les photos sont de Bruno Verrier, merci à lui.
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