Une femme dans le public lui tend un billet écrit à l’encre bleue.
« Mon bel amour Tshiteya, je t’attends à Dijon pour faire un petit tour de manège, mais dépêches-toi car Mme Bailly ferme à 19h. Codie »
lit Valérie Niquet, perchée sur son escabeau derrière son pupitre, son képi à treize heures. Et cette femme s’en va, s’éloigne, comme dans Orly de Brel, elle pleure à chaudes larmes. Ce papier, Valérie l’a encore sur son frigo, des années après, accroché à un magnet comme cette femme l’était à ce Codie qui lui avait écrit ce mot.
Valérie Niquet est crieuse publique. Comédienne. Chanteuse. Et ce n’est pas tout, elle a les yeux caramel. Deux billes claires qui s’attachent à vous, rient, s’étonnent, détonnent, questionnent, pétillonnent, chatertonnent. Qui exigent votre attention. Bas résille et mèche accroche-cœur collée au front, elle est grimée en Betty Boop dans le spectacle de théâtre musical Be Bop Boby qu’elle mène avec son complice Pascal Carré, succès depuis des années. Si bien que dans les bars de Croix-Rousse, les gens la saluent soit d’un « Salut Betty », soit d’un « Bonjour la crieuse ». Elle leur répond d’un sciemment « la crieuse publique vous dit bonjour ». Distance indispensable pour rester l’artiste-comédienne qui le dimanche matin donne vie publiquement à leurs messages. Ainsi l’annonce du suicide d’un garçon âgé de sept ans qu’elle connaît. Défenestration. La glotte coincée. Elle est un porte-voix. Pour ceux qui n’ont pas la parole dans l’espace public. Pas celui de Facebook, mais celui où nous vivons ensemble. Les « gens » lui postent dans l’une des sept huit boîtes à lettres installées à des endroits stratégiques du quartier, commerces, bistrots, coopératives, subtil mélange de populaire et de gentrification. Croix-Rousse est pour elle un quartier de lutte, très marqué. Cette force soyeuse existe encore dans des festivals, des lieux, le street-art sur les murs des pentes et du plateau.
Valérie Niquet a pris la suite de Gérald Rigauld, comédien et artiste de rue qui, en 2004, a inventé cette fonction de créateur de lien social, à la Croix-Rousse, dans la lignée des valeurs de ce quartier. Création à bas bruit, par le bouche à oreille dans les bistrots du coin, qui aussitôt a rencontré succès local et écho national. Chaque criée attire entre 70 et 150 personnes. Un public qui se renouvelle sans cesse autour d’un noyau de fidèles. Elle en fait ailleurs à la demande.
Les messages qu’elle reçoit à lire donnent un ampan de la diversité humaine. Comme celui-ci sans un mot, seulement un dessin, une croix gammée. Elle l’a fait défiler devant les yeux du public, sans commentaire ni jeu de comédien.
À 19 ans, à son arrivée du Jura à l’université, elle se dit, « Je serai comédienne. » La madeleine à l’origine de sa décision, ce jour-là, est remontée de son enfance, d’une institutrice qui lui faisait faire du théâtre.
Très vite, elle rentre dans une compagnie d’impro. Texte et clown. Très littéraire. Facteure de mots, comme l’était Saint-Ex, né du côté de Bellecour, d’où il s’est envolé, la cale de son Caudron monomoteur pleine de sac postaux bourrés de mots. Puis, elle embarque dans l’aventure U-Gomina, compagnie de théâtre musical créée par Ugo Ugolini qui en 84 prit Jack Lang au mot, lequel voulait propager la fête de la musique à tous les arts. Be bop Boby est un formidable tribute to Boby Lapointe, dans une ambiance férocement tendre, des pinçons de gouaille à la taille, dans le bain saumoné de l’orgue de barbak mélange de Piaf et de montagnes russes rusées comme l’était Bobby.
Valérie Niquet travaille aussi sans les mots. Elle fait du théâtre d’images avec des handicapés dans le groupe SIGNES, moments de création avec des acteurs extraordinaires.
Elle a trouvé à Lyon ce qu’elle voulait, du théâtre qu’elle aime, depuis 22 ans, pas besoin de Paris. Elle fait la couillonne humaniste avec du tragique, madame Saint-Exupérires des fleurs du mal, candeur et gravité, sens aigu de l’ellipse, de l’arrêt sur image, du cabrage roue arrière, de l’alexandrin, des cocktails un tiers Racine, un tiers maquignon normand, cinq quart Valérie Niquet. Une vigueur jurassienne et une agilité de Nadia Comăneci pour durant plus d’une heure insuffler vie à chacun de ces billets. Des gens viennent la voir après, lui dire « J’ai redécouvert mon message, la façon dont tu l’as dit. » Les vieux reubeus sur les places l’appellent Général, rapport à l’uniforme de garde-champêtre qu’elle enfile pour les criées.
Plus tard, elle a revu cette femme qui lui avait tendu ce mot bleu que lui avait écrit Codie. Elle a expliqué à Valérie parlant de Codie, « Je voulais juste entendre son nom sur la place publique. »
Gilles Bertin
La crieuse publique de Croix-Rousse, une fois par mois le dimanche à 11h, place des Tapis — Programme et infos sur la page Facebook : Crieuse publique Croix Rousse.
Vous pouvez déposer vos messages dans les boîtes aux lettres situées à : L’atmo, Le bistrot fait sa broc, Le café Jutard, le café de la crèche, Le comptoir du sud, Le drôle de zèbre, La maison de l’économie solidaire, L’origo.
Un petit poème à lire
Des épisodes douloureux, des moments heureux,
Des retrouvailles sans broussailles,
Des murs d’illustrations, des yeux d’émotion,
Des batailles certes, de la chamaille.
Une profonde inspiration, une meilleure attention,
Pas de somnifères, des primevères je préfère.
Lumineuse, c’est le mot, Anne-Adeline, merci de votre message.
Une personnalité lumineuse, qui fait la Croix Rousse, aux côtés d’autres Étoiles ! Merci !
ça me donne envie d’envoyer des messages à crier